Migrant Stories

Moment de vérité – S'adapter au changement climatique

Le climat change. Et bien plus vite depuis la révolution
industrielle.

Les experts du GIEC  ont établi que les
températures moyennes de l'hémisphère Nord ont
été nettement plus élevées durant la
seconde moitié du XXème siècle que durant les
13 siècles précédents… Dans l'Arctique,
la température a augmenté deux fois plus vite au
cours du siècle dernier.

N'en déplaise aux nombreux Ponce Pilate, l'homme est donc
en grande partie responsable de l'impact accru de ces changements
sur les mouvements de population.

Certes, migrer a toujours été une des
stratégies possibles d'adaptation en cas de
dégradation de l'environnement ou de catastrophe naturelle.
Voire un mode de vie dans certaines régions. Mais
aujourd'hui, la cote d'alerte est dépassée et la
communauté internationale s'est saisie de ces questions
complexes et encore mal connues, sans doute parce qu'elles sont au
confluent de plusieurs approches : l'environnement, le
développement durable, l'action humanitaire, les droits de
l'homme, les migrations, le climat pour n'en citer que
quelques-unes.

Même si l'on ne dispose pas de chiffres précis
quant au nombre de migrants environnementaux dans les
décennies à venir, tant il est étroitement
dépendant de notre capacité collective à
réduire les émissions de gaz à effet de serre,
une chose est sûre : ils seront de plus en plus nombreux.

De là à agiter le spectre d'un « nouveau
tsunami » , il n'y a qu'un pas. Certes, il peut être
politiquement tentant de surfer la vague de la
sécurité en arguant que le changement climatique va
déverser sur les côtes des pays
développés des millions de personnes à la
recherche d'environnements plus accueillants : cela permet de
justifier des politiques migratoires plus restrictives qui trouvent
un écho favorable dans des opinions publiques
déjà inquiètes dans un contexte de
récession économique sans
précédent.

Mais cette tendance à la myopie politique ne
résiste pas à l'analyse.

D'abord, les recherches actuellement disponibles, bien que
géographiquement circonscrites, confirment que la grande
majorité des migrations environnementales seront des
migrations internes, soit vers le mirage de la
prospérité autour des grandes villes, soit vers
d'autres zones rurales encore susceptibles de subvenir aux besoins
quotidiens des communautés affectées. Les mouvements
transfrontaliers constitueront un autre aspect important, surtout
dans les zones où la « capillarité » des
mouvements est une constante depuis les temps immémoriaux et
où la notion de frontière, au sens où
l'entendent les Etats, ne fait pas forcément sens pour les
populations directement concernées.

Ensuite, il y a de fortes chances pour que la migration
internationale liée au changement climatique reste
minoritaire, tout simplement parce qu'elle exige à la fois
des moyens que les plus pauvres, les « sans terre » en
quelque sorte, n'ont pas, et des réseaux communautaires dans
le pays de destination qui leur font également défaut
la plupart du temps.

Enfin, pour qu'une politique de lutte contre la migration
irrégulière soit efficace quelles que soient ses
causes, il faut dans le même temps que des canaux de
migration régulière soient ouverts dans des
conditions négociées entre les partenaires. Faute
d'un tel accord global et concerté, le recours aux
filières clandestines et aux réseaux mafieux est
souvent le seul recours, avec l'impact dramatique que
l'actualité se charge de nous rappeler à intervalles
bien trop réguliers.

Le plus compliqué, au fond, c'est justement d'identifier,
de « labelliser » les migrants environnementaux. Sauf
dans les cas où une catastrophe naturelle les pousse
à fuir dans l'urgence pour sauver leur vie et celle de leur
famille, il est très difficile d'isoler le facteur «
changement climatique » ou « dégradation de
l'environnement » dans une combinaison
d'éléments incitatifs qui relèvent au moins
autant de motivations sociales, économiques, voire
politiques. C'est probablement une des raisons pour lesquelles ils
n'ont pas de statut particulier au regard du droit
international.

Ils ne sont sans doute pas près d'en avoir un, à
en juger par l'extrême prudence, voire la réticence de
beaucoup de gouvernements à créer une nouvelle
« catégorie » qui disposerait de droits
spécifiques. Aux portes des pays développés,
ils sont aujourd'hui confondus avec le flot des migrants
économiques et soumis aux mêmes aléas,
même si certains tentent de déposer une demande
d'asile, systématiquement refusée.

Car il ne s'agit pas de « réfugiés
climatiques », même si les journalistes se sont
empressés d'utiliser cette expression en raison de sa charge
émotionnelle et de la compassion qu'elle induit. Les mots
ont un sens et la Convention de 1951 sur le statut des
réfugiés précise que la notion de
persécution est centrale dans la détermination de
l'éligibilité. Cela réduit à des cas
marginaux la possibilité d'accéder à ce statut
dans le contexte de la dégradation de l'environnement. Dans
quelques pays, des régimes de protection temporaire ont
été mis en place pour venir en aide à des
populations étrangères affectées par une
catastrophe naturelle. C'est l'ouragan Mitch qui a ainsi conduit
les Etats-Unis à mettre en place le « Statut de
Protection Temporaire », exemple suivi par la Suède et
la Finlande avec des périmètres et des conditions
d'application différents.

Les populations sont diversement affectées, mais il faut
retenir que près de 98% des décès liés
aux catastrophes naturelles ont lieu dans des pays en
développement. Evidemment, c'est surtout cette image qu'on
retient : les drames humains, les milliers de morts et la
réponse humanitaire d'urgence qu'il faut apporter. Le plus
souvent, les déplacements de masse liés à ces
phénomènes sont temporaires et le moindre des
paradoxes n'est pas de voir les populations reconstruire à
l'endroit même où se trouvait leur maison, en
dépit des risques évidents de survenue d'un
événement similaire et des conseils prodigués
par les humanitaires.

S'il est vrai que le nombre de ces événements
extrêmes a doublé en 20 ans, passant de 200 à
environ 400 par an, tout indique que ce sont bien les processus
plus insidieux, plus graduels, qui induiront le plus grand nombre
de déplacements définitifs dans les décennies
à venir : désertification, érosion des sols,
déforestation, élévation du niveau des
océans, salinisation des eaux… Le mot-clé,
dans ce contexte, c'est sans doute « adaptation ».
Adaptation sur place ou à proximité lorsque c'est
possible, mais aussi utilisation de la migration comme une des
stratégies possibles d'adaptation, comme l'ont fait de
nombreuses populations depuis la nuit des temps.

La réponse de la communauté internationale doit,
elle aussi, s'adapter. Il est relativement facile de lever des
fonds lors de catastrophes majeures pour des raisons qui tiennent
bien sûr à l'urgence, mais aussi à la
visibilité médiatique et à l'utilisation
politique qui peut en être faite. Mais il s'avère
beaucoup plus ardu de convaincre des partenaires d'investir sur le
long terme en soutenant des processus d'adaptation moins «
vendables » en termes d'image, dont les résultats ne
seront pas perceptibles avant plusieurs années. Dans un
contexte de crise économique mondiale, la récurrence
de telles dépenses est difficile à vendre dans les
pays développés où les populations sont
souvent davantage préoccupées par le maintien de leur
niveau de vie et la peur du chômage.

Le moment de vérité aura lieu à Copenhague,
lors de la prochaine Conférence des Parties à la
CCNUCC .

Outre la nécessité d'un accord sur la
réduction des gaz à effet de serre, la manière
dont sera traitée l'adaptation au changement climatique
déterminera les possibilités d'action sur le terrain
pour au moins la décennie à venir.

Les négociateurs accepteront-ils de considérer que
l'impact humanitaire du changement climatique, surtout en
matière de migrations et de déplacements, n'est pas
un simple corollaire, mais bien un aspect central de l'accord si
l'on veut garantir la sécurité humaine ?

C'est un pari. Risqué, mais gagnable.