Migrant Stories

Une reine vient en aide à son peuple

Le territoire Suma, situé dans le nord-ouest de la
région ghanéenne de Brong Ahafo, est difficile
à atteindre. En effet, une heure et demi avant d'atteindre
la capitale de ce territoire, Suma Ahenkro, la route
goudronnée s'arrête et laisse la place à des
pistes de terre défoncées.

La frontière avec la Côte d'Ivoire est à
quelques pas, sur la gauche de la route. C'est une zone
éloignée et le sentiment d'isolement est
renforcé par l'absence de véritables routes qui
entrave le développement de nouvelles activités.

Répartie sur 30 petites villes et villages, 80 pour cent
de la population du territoire Suma vit de l'agriculture de
subsistance. Le fardeau du travail et la responsabilité de
nourrir les familles reposent sur les femmes. A l'exception des
écoles, il n'y a pas de réels équipements et
encore moins d'opportunités de travail dans cette zone. La
main d'œuvre est donc importante et bon marché.

Ce facteur, combiné à la pauvreté et
à la proximité de la frontière ivoirienne,
explique pourquoi beaucoup rêvent d'une vie nouvelle en
Europe, pleine de richesses, et pour quelle raison le taux
d'émigration est si important dans cette zone. Nul ici ne
sait combien de personnes sont parties.

Si l'on observe la population de Suma Ahenkro, on se rend
rapidement compte qu'il y a peu de jeunes hommes parmi les
personnes qui vaquent à leurs occupations. Beaucoup d'hommes
et de femmes âgées et d'enfants avec leur mère.
Mais il y a peu d'hommes jeunes. Ils partent pour trouver un
travail dans les zones urbaines au Ghana ou à
l'étranger – s'ils y parviennent. En avril de cette
année, deux garçons du village se sont noyés
en tentant de rallier les Canaries depuis les côtes
marocaines, le dernier drame en date.

C'est en partie pour prévenir de tels drames et les
épreuves que doivent surmonter ceux qui sont parvenus
à se rendre en Europe et qui réalisent rapidement que
les rues ne sont pas pavées d'or mais de peines et de
souffrances, et pour atténuer les souffrances des femmes de
cette région que Belinda Comfort Damoah a ressenti le besoin
d'agir.

Belinda, alias Nana Akwamma Trepefo Odiakotene, n'est pas une
personne ordinaire. Elle est la Reine mère du territoire
Suma (STA en anglais) et réside à Lecco, à
proximité de la ville de Milan, dans le nord de
l'Italie.

Elle bénéficie du soutien de l'OIM dans le cadre
du programme MIDA (Migration pour le développement en
Afrique) au Ghana. Ce programme encourage les diasporas de migrants
africains à contribuer au développement de leur pays
d'origine au travers du transfert de compétences et
d'investissements dans des entreprises grâce au
co-financement de partenaires tels que l'OIM.

Le brillant projet de Belinda, présenté dans le
cadre de la deuxième phase du programme MIDA au Ghana
financé par le gouvernement italien, est un projet ambitieux
qui entend révolutionner l'agriculture à Suma et donc
offrir de nouvelles opportunités de travail pour les
populations locales tout en améliorant les conditions de vie
des femmes restées au village.

Avec les milliers d'hectares de terre en jachère
disponibles dans cette région, Belinda a créé
une coopérative agricole grâce au soutien financier de
la Suma Rural Bank et de l'OIM. Elle prévoit de consacrer
500 hectares à des cultures commerciales telles que la
culture de l'anacardier pour la noix de cajou et du teck, ainsi
qu'à la culture de fruits et de légumes telles que
les mangues, le manioc ou le gombo. Des négociants indiens
accourent jusqu'à Suma pour les noix de cajou et la
coopérative pourrait rapidement être en mesure de
vendre directement sa production aux Indiens.

Belinda déplore le gâchis que représente
l'agriculture de subsistance et a de nombreuses idées en vue
de diversifier les activités de cette coopérative. En
effet, les anacardiers poussent bien dans cette zone et le
territoire Suma est le plus important au Ghana en termes de
production de noix de cajou.

« Nous pouvons faire beaucoup avec les anacardiers, mais
nous nous contentons de récolter les noix et de les vendre.
Alors qu'en cultivant des fruits, nous pouvons en faire des jus,
les mettre en conserves ou en faire des confitures » explique
Belinda.

Ainsi, en regroupant les fermiers au travers de
coopératives et en leur offrant la possibilité
d'accéder à des installations de stockage
adaptées dont l'absence oblige les fermiers à vendre
leurs surplus à des prix dérisoires lorsque la
production est trop importante, Belinda espère transformer
l'agriculture en une réelle activité, à grande
échelle. Ce projet ambitieux a été bien
accueilli par les chefs traditionnels.

Nana Adane Okofrobour-Krontihene, roi du territoire Suma, a
réitéré son soutien à ce projet
à l'occasion de l'inauguration en grande pompe de la Suma
Agricultural Cooperative Society, en offrant des terres
administrées par les chefs et les reines mères en vue
d'une exploitation à grande échelle.

« Le potentiel agricole du territoire Suma n'est pas mis
en valeur alors qu'il existe des terres cultivables et une force de
travail débordant d'énergie » explique le
roi.

Les femmes de Suma Ahenkro sont enthousiastes. Belinda a mis sur
pied une boulangerie coopérative qui permet de fournir du
pain à tout le village.

« Toute la vie du village repose sur les femmes. Elles
s'occupent de tout. Elles fournissent tout. La contribution
économique des hommes est insignifiante.  Les femmes
sont réellement enthousiasmées par ce projet de
coopérative » explique Martin Adane, conseiller de la
Suma Agricultural Cooperative Society.

Belinda est une passionnée qui veut changer la vie de son
peuple. Elle a quitté le Ghana en 1984 pour la Libye
où elle a travaillé comme infirmière durant
cinq ans avant de décider de se rendre au Royaume-Uni. Ce
sont en fin de compte les autorités italiennes qui l'ont
régularisée. Après la naissance de son dernier
enfant en 1992, elle a travaillé comme infirmière
auxiliaire et souhaite désormais passer un concours pour
devenir infirmière.

Elle s'est fixé un nouvel objectif. Non contente de
créer de nouvelles activités
rémunératrices à Suma, Belinda a joué
un rôle clé dans la création d'un centre de
soins à Suma Ahenkro. Elle prévoit d'ici peu de venir
à Suma pour un séjour prolongé afin de mettre
ses compétences d'infirmière au service de ce
centre.

Mais Belinda a une deuxième ambition : que tous les
enfants bénéficient d'une bonne éducation.
Elle permet déjà à 80 enfants du village
d'aller à l'école. Mais l'école ne dispose
pour tout bâtiment que de kiosques et le nombre d'enfants
scolarisés n'a cessé d'augmenter. Elle essaye donc de
réunir de toute urgence des fonds pour leur offrir des
locaux adaptés.

« J'ai beaucoup appris. Je peux aider mon peuple, en
particulier les femmes. Mon peuple a besoin de moi et je veux
transmettre tout le savoir que j'ai pu acquérir en Europe
pour l'aider. Il a besoin de mon savoir-faire » explique
Belinda. Personne ne saurait la contredire. Dans le cas contraire,
des têtes pourraient bien tomber.